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LE VOYAGEUR JOSEPH LANDRY

Yamaska 16 mai 1795 - 26 août 1884 St-Pierre-Joly

Ne pas confondre avec Joseph Landry explorateur et découvreur de la route terrestre vers l'océan Pacifique

Source: Article publié dans le Bulletin de la Société historique de Saint-Boniface, printemps 1993, 3-14.  aussi disponible en format PDF.

En 1815, un jeune homme de St-Michel-d'Yamaska, Bas-Canada, Joseph Landry, quittait son village natal pour se lancer à la grande aventure.

Il arriva dans l'Ouest à l'époque où la querelle entre la North West Company et la Hudson's Bay Company battait son plein. À son décès près de 70 ans après, il était patriarche d'une grande famille qui était alliée aux principales familles métisses et canadiennes-françaises de la Rivière-Rouge.

De souche acadienne1, Joseph Landry naquit à St-Michel-d'Yamaska [Québec], le 16 mars 1795. Il y fut baptisé le lendemain :

l'an mil sept cent quatre vingt quinze le dix sept mars par moy prêtre soussigné a été baptisé joseph denis né dhier, fils de nicolas landry et de marguerite taurel son epouse le parrain a été joseph denis laplante et la maraine josephte laplante les quels ont declare ne scavoir signer de ce requis, suivant lordonnance. Sr. chrisostome dugast ptre2

En 1815, âgée de 20 ans, Joseph s'engage à la Hudson's Bay Company. Après multiples aventures, il s'établit à la Rivière-Rouge où il demerera le reste de sa vie.

En 1819 ou 1820, il épouse Geneviève Lalonde, fille de colons venus du Bas-Canada.

Le 20 avril 1835, il obtient le lot 788 de la Hudson's Bay Company. Ce lot de 175 acres était situé dans la région de Saint-Vital, dans les environs du centre d'achats actuel. Par la suite, après 1850, il devient propriétaire de deux autres lots : le numéro 784,comprenant 32 acres qu'il achete d'Antoine Caron, et le numéro 783, comprenant 124 acres, qu'il achete de Jean-Baptiste Larence3.

Joseph Landry et Geneviève Lalonde eurent douze enfants :

1. Henriette,née le 9 avril 1822. Elle épousa Michel Dumas (Michel et Josètte Sanceau).

2. Elmire, née le 18 février 1824. Elle épousa Élie Carrière (André et Angélique Dion).

3. Dorothée, née le 20 juillet 1826. Elle épousa Daniel Carrière (André et Angélique Dion).

4. Angélique, née le 31 décembre 1827. Elle épousa, en premières noces, Martin Jérôme et, en deuxièmes noces, Isidore Dumont (Jean-Baptiste et Josètte Sarcie).

5. Jean-Baptiste, né le 20 et baptisé le 21 juin 1829 à Saint-Boniface (Manitoba).

6. Pierre, né le premier novembre 1831. Il épousa Geneviève Bruneau (François et Marguerite Harrison).

7. Anastasie, née le 27 et baptisée le 28 juin 1832 à Saint-Boniface (Manitoba). Elle épousa André Nault (Amable et Josètte Lagimodière).

8. Théophile, né le 9 et baptisé le 11 novembre 1833 à Saint-Boniface (Manitoba).

9. Adélaide, née en août 1839. Elle épousa Thomas Bruneau (François et Marguerite Harrison).

10. Norbert, né le 12 janvier 1841. Il épousa Marie Lagimodière (Jean-Baptiste et Marie Harrison).

11. Philomène, née le 11 août 1844. Elle épousa Romain Nault (Amable et Josètte Lagimodière).

12. Christine, née vers 1845. Elle épousa Boniface Nault (Amable et Josètte Lagimodière).

Il mourut le 24 août 1884, quelques mois seulement après la relation de ses souvenirs par l'abbé Jolys. Il fut inhumé dans le cimetière de Saint-Pierre-Jolys le 26 août.

En 1884, peu de temps avant son décès, il relatait ses souvenirs à l'abbé Jean-Marie Jolys4, alors curé de la paroisse de Saint-Pierre-Jolys (Manitoba). L'abbé Jolys en fit relation lors d'un bazar tenu à Saint-Pierre-Jolys le 31 mars 18845.

*Joseph Landry était plein de jeunesse et de santé, il avait un caractère aventureux,peut-être un peu batailleur, comme tous lesjeunes gens de son pays. Il avait pris du service dans la milice en 1813 et venait d'être libéré. Il était bâti à chaux et à sable, il ne rêvait que voyages et aventures et la vie tranquille de l'habitant devait lui peser. Il lui fallait le grand air,le canot d'écorce sautant les rapides, et les grandes plaines de l'Ouest à traverser la raquette aux pieds. Nous allons voir qu'il trouva ce qu'il lui fallait.

*Dans l'hiver de 1814-1815 MM. Clark6, Logan7, Robinson8 et Découane9 anciens officiers de la compagnie du Nord-Ouest, ayant quitté cette Compagnie à la suite de quelques difficultés, venaient de solliciter et d'obtenir de l'honorable Compagnie de la Baie d'Hudson, la permission de se choisir des hommes d'élite pour aller établir des comptoirs jusque dans l'extrême Nord-Ouest sous la protection du pavillon de l'honorable Compagnie et faire une guerre à mort à la Compagnie du Nord-Ouest pour la traite des fourrures.

*Joseph Landry avait trouvé sa voie, il s'était engagé, et au commencement de juin10, il arrivait à Terrebonne et s'embarquait sous le commandement de M. Clark[e]. La flotille se composait d'une cinquantaine de canots d'écorces chargés d'hommes et de marchandises. On partit pour le Sault Sainte-Marie.

*M. Rob[ertson] partit de cet endroit pour aller à Michilimakinak charger les provisions nécessaires en voyage. Joseph Landry fut embarqué dans le canot maître. Rob[ertson] avait déjà observé en lui les précieuses qualités du voyageur. Mais arrivé à Michilimakinac, pour une raison ou pour une autre, Joseph Landry, qui n'était pas la patience incarnée se prit de querelle avec Rob[ertson], ce qui lui valut d'être transféré à bord d'un petit canot de charge et de suivre l'expédition à son retour privé de son grade de rameur du canot maître. Arrivé au Sault Sainte-Marie, il fut réintégré dans le grand canot de M. D[ecouagne] et toute la brigade partit pour courir sa première étape vers le Nord-Ouest. Le drapeau de l'honorable Compagnie de la Baie d'Hudson flottait à l'avant des canots déroulant l'arrogante et peu charitable devise de l'honorable Compagnie : "Pro Pelle Cutem" "que la peau réponde pour la fourrure". Les avirons frappaient l'eau en cadence et les bonnes vieilles chansons du voyageur canadien réveillaient les échos du rivage.

*On arriva ainsi tous ensemble jusqu'au Fort William, après un heureux voyage. A cet endroit Joseph Landry part en avant avec MM.

Rob[ertson] et D[ecouagne] et arrive à la rivière Rouge vers la fin de [j]uillet après environ deux mois de voyage. [......]

*Winnipeg à cette époque n'existait pas, comme vous le savez bien; Saint Boniface non plus. Il n'y avait à cet endroit de la rivière que le [fort] de la Compagnie de la Baie d'Hudson et celui de la Compagnie du Nord-Ouest qui venaient de résister à plusieurs assauts et qui était grandement endommagé. Les deux Compagnies de la Baie d'Hudson et du Nord-Ouest étaient à couteaux tirés et cherchaient à se dévorer l'une l'autre, comme deux chiens qui se jettent l'un sur l'autre, chacun cherchant à se débarrasser de son adversaire pour ronger plus à son aise l'os qui excite sa convoitise; l'os était la vallée de la Rivière Rouge et l'immense Nord-Ouest le pays des pelleteries. Nos voyageurs purent donc voir que le Fort de la Compagnie du Nord-Ouest avait grandement souffert des attaques de son voisin, le Fort de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Ils purent penser dès lors qu'eux aussi devaient s'attendre à des luttes; mais n'anticipons pas sur les événements.

*Rob[ertson], D[ecouagne] avec Landry et l'équipage de leurs canots partirent après une journée de repos pour la Rivière-aux-Brochets où ils arrivèrent 7 ou 8 jours avant la grande brigade qu'ils précédaient. Les préparatifs se firent rapidement car on voulait profiter de la belle saison et il restait un voyage bien long à faire pour arriver jusqu'au pied des Montagnes Rocheuses.

*Ici nous devons dire adieu à M. Rob[ertson] qui redescend à la Rivière Rouge où il doit hiverner.

*La Compagnie du Nord-Ouest ne voyait pas d'un bon oeil la Compagnie de la Baie d'Hudson aller établir des postes de traite dans le Nord-Ouest, comme vous le pensez bien. Aussi avait-elle pris ses mesures pour faire manquer l'expédition dont nous faisons l'histoire. Elle voulut prendre nos gens par la famine et envoya les chasseurs battre le bois le long des rivières pour en chasser le gibier et mettre ainsi nos voyageurs dans l'impossibilité de se procurer des vivres par la chasse. Des canots étaient envoyés d'ailleurs avec ordre de précéder ou de suivre la flottille de la Compagnie de la baie d'Hudson et narguer, harceler et insulter nos voyageurs; [v]ous pouvez penser si Landry et ses compagnons devaient avoir le sang échauffé par ces provocations de toutes sortes. On se rendit ainsi jusqu'à l'[Ile-à-la-Crosse] et l'étonnant c'est qu'il n'y eût pas bataille le long de la route. Arrivé à la Crosse, il s'agissait de choisir la place convenable pour y bâtir un fort et y laisser M. Logan avec quelques hommes. On mit pied à terre mais à peine était-on débarqué qu'un commis de la Compagnie du Nord-Ouest Archy11 accompagné de deux acolytes McDolan et Black, vinrent chercher chicane à Clark[e], le chef de notre expédition. Black menaça Clark[e]avec un pistolet et il y aurait eut certainement effusion de sang, si ce dernier n'avait tenu à conduire à bonne fin son expédition et n'avait mérité les menaces de son adversaire. Tout le long du voyage, à la Rivière la Loche, au Portage la Bonne jusqu'au lac Athabaska enfin, Clark[e] trouvait sur la route des billets remplis d'insultes que semait à son adresse Archy, Black & Compagnie. Cela n'était pas fait pour l'apaiser.

*Arrivés à l'entrée de la rivière Athabaska, nouvelles scènes entre les hommes des deux compagnies. Les pistolets craquèrent et le sang fut encore sur le point de couler, mais la nuit empêcha le combat et le lendemain Clark[e] attendit vainement l'attaque d'Archy, ce dernier décampa sans tambour ni trompette.

*Joseph Landry assistait à toutes ces scènes et se montrait toujours prêt à faire sa partie avec entrain, dans cet orage à coups de poings, qui menaçait à tout instant d'éclater.

*Toute la flottille alla mettre à terre sur l'île aux outardes, toujours escortée par ses dangereux voisins. Une tempête força les deux partis ennemis à camper côte à côte, et ce ne fut que le soir que les canots purent reprendre le large pour aller débarquer les hommes de la compagnie du Nord-Ouest au fort de cette compagnie, et ceux de la compagnie de la Baie d'Hudson, sur une île en face du même fort. C'est sur cette île que M. Clark[e] se proposait de bâtir son poste de traite.

*Les officiers de la compagnie du Nord-Ouest s'étaient promis de ne pas laisser de repos aux voyageurs de la compagnie rivale, de plus ils voulaient protester contre la prise de possession de tout terrain par eux. Car chacune des deux compagnies de traite prétendait rester seule maîtresse du pays. Le soir de leur débarquement nos gens eurent la visite de trois hommes envoyés pour les surveiller; c'étaient Larocque, Soucisse et Viviers.

*Depuis longtemps Clark[e] et ses hommes désiraient s'aboucher avec quelques sauvages et faire annoncer par eux leur arrivée. L'occasion se présenta le lendemain : un canot parut entre l'île et le fort du N.-O., un seul homme le montait. *Vite Landry un canot à l'eau, cria McAulay, l'un des bourgeois, et allons nous emparer de ce sauvage.+ En un instant tout était prêt et un canot volait sous l'effort des avirons de Landry et de deux ou trois de ses compagnons. En un tour de main [l'améridien] avait été enlevé avec son canot et déposé au fond de celui de la compagnie. Mais Soucisse n'avait pas été lent non plus à mettre à flot et au moment où le canot de McAulay et de Landry virait de bord pour gagner terre, Soucisse s'y cramponnait et s'efforçait d'en arracher le pauvre [amérindien] qui dût se croire arrivé à sa dernière heure. Pour lui faire lâcher prise McAulay commença par lui frapper sur les doigts à tour de bras à coup d'avirons, mais comme cela ne suffisait pas, il lui assena généreusement de respectables coups de la même arme sur la tête. Cette fois Soucisse lâcha prise en hurlant. [L'amérindien] fut habillé, choyé et renvoyé aux siens pour annoncer l'arrivée de nouveaux commerçants.

*La saison avançait et il fallait se rendre jusqu'aux pieds des Montagnes Rocheuses. Clark[e] laissa au poste d'Athabaska une partie de ses hommes et grâce aux différents postes de traite établis le long du chemin le nombre des voyageurs étaient réduit à 57 hommes, 2 femmes et 4 enfants qui tous partirent sous sa conduite et celle de M. McDougal12pour remonter la Rivière la Paix. Les provisions faisaient complètement défaut, aussi tout ce monde fit une effroyable jeûne de 39 jours pendant lesquels ils n'eurent à manger que deux orignaux maigres et un ours tués par Laronde13, le père des Laronde de Saint-Boniface. Arrivés aux chutes de la Rivière la Paix tous étaient tellement exténués de faim et de fatigue que le désespoir se présentait à eux escorté des horreurs de la mort la plus horrible : la mort par la faim. La rencontre d'une tribu [amérindienne] qui leur procurerait des vivres, pouvait seule sauver ces hommes au visage hâve et décharné, déjà dévorés par la fièvre. Mais ce n'était pas chose facile de rencontrer des [amérindiens].

*[Amérindiens], orignaux et ours avaient été éloignés des bords de la rivière par les employés de la compagnie du Nord-Ouest pour vouer plus sûrement à la famine ces pauvres gens qui venaient leur enlever le monopole de la traite des pelleteries. C'est horrible cette férocité dont fait preuve dans le cas qui nous occupe cette compagnie du Nord-Ouest. Vouer à la mort et à une mort affreuse ces hommes pour protéger son commerce! Je ne sais si c'est en cette circonstance que la compagnie de la Baie d'Hudson apprit à défendre avec une égale férocité son monopole, lorsqu'elle se l'eût assuré par la destruction de la compagnie rivale, toujours est-il que plus tard l'honorable compagnie gorgée de millions eût à se reprocher d'affreuses cruautés, elle aussi, et ces choses ne semblèrent pas peser bien fort sur la conscience placide de ses opulents actionnaires. Dans ces moments suprêmes, il appartient au chef d'une expédition de se dévouer au salut de tous, c'est ce que fit M. Clark[e]. Il partit avec quelques hommes, décidé à trouver un camp [amérindien] ou à mourir pour les siens. Dix jours se passent. On était en novembre, les canots se trouvaient pris dans la glace et M. Clark[e] ne revenait pas. Le froid était terrible; un bon nombre de nos voyageurs n'avaient pas la force de se lever. Couchés auprès de leur feu, que les plus robustes avaient à peine la force d'alimenter, ils étaient plongés dans une torpeur telle que plusieurs se brûlaient les pieds et les jambes et n'avaient pas le courage de se traîner à quelques pieds pour se protéger contre le feu. McDougall se mourait. Joseph Landry était un des moins faibles. Il partit ou plutôt se traîna avec cinq de ses compagnons d'infortune, jusqu'au fort du Nord-Ouest,le fort Vermillon.

*Ils mirent une grande journée à s'y rendre bien que la distance fut très courte. Le commis du fort Vermillon eut bien vite épuisé sa charité; après avoir donné à souper à ces six affamés et leur avoir permis de coucher au fort, le lendemain matin, il les mit à la porte après déjeuner sans vouloir leur donner une bouchée de provision pour sauver la vie de leur compagnons d'infortune. Ils les fit suivre cependant par deux de ses employés, Leclair et Mayelle, qui se rendirent jusqu'au camp et firent des propositions à McDougall, qui signa tout ce qu'on voulut pour assurer une bouchée de taureau à ses compagnons qui râlaient autour de lui.

*McDougall remettait entre les mains de la compagnie du Nord-Ouest, ses canots et ses marchandises en échange de vivres pour lui et ses hommes. Les hommes devaient de plus être libérés de leur engagement vis-à-vis de la compagnie de la Baie d'Hudson et ils devaient être à même au printemps suivant, de s'en retourner à Montréal ou de prendre du service dans la compagnie du Nord-Ouest.

*Ce traité venait d'être signé lorsque Clark[e] arriva. Il trouva McDougall presque sans connaissance et le cadavre d'un de ces hommes, Marcelais,qui venait de succomber aux tortures de la faim.

*Il entra dans une grande fureur en apprenant ce qui venait de se passer et dit qu'il préférait mourir plutôt que d'avoir affaire à la compagnie du Nord-Ouest. Aussitôt que McDougall eût repris quelques forces il l'envoya au fort Vermillon avec ordre de décider leurs hommes à les suivre à Arthabaska. C'était une folie d'entreprendre un pareil voyage à pied, à une pareille époque. Cependant Clark[e] fut si pressant, il leur persuada si bien qu'il avait trouvé des vivres en abondance, que 44 consentirent à le suivre avec McDougall. Les vivres manquèrent dès les premiers jours et le jeûne fut terrible. Ces 44 personnes se divisèrent par petits groupes pour pouvoir trouver plus facilement de la chasse; mais ce fut en vain. Ils ne trouvèrent que des boutons de roses pour assouvir la faim qui les dévorait. Dix-huit d'entre eux moururent dans ce terrible voyage. Il s'y passa des scènes que l'on ose à peine décrire. Les malheureux affamés trouvaient le long du chemin les cadavres de leurs misérables compagnons étendus auprès des restes de petits feux de campement.

*Le cadavre d'un nommé Vertefeuille fut trouvé étendu auprès de sa petite chaudière dans laquelle il avait encore des lambeaux de chair humaine; sa tête reposait sur sa couverte de voyage roulée et en cette couverte renfermait un bras humain, que le malheureux conservait sans doute pour son prochain repas. On crut reconnaître le bras de la femme d'un nommé François Nolin, une[amérindienne] Nipissing.

*Pendant que s'accomplissait cet effroyable voyage, les dix-huit hommes qui avaient refusé d'y prendre part et qui étaient restés au Fort Vermillon partirent pour remonter la rivière la Paix, à la raquette, jusqu'au fort de la grande prairie. Joseph Landry était parmi eux avec un nommé Lapointe qui l'accompagnera désormais dans toutes les pérégrinations qui les amèneront tous deuxjusqu'au fort William.

*On mit quinze jours pour se rendre à la grande prairie et pendant les cinq derniers jours de ce voyage, pas une seule bouchée à se mettre sous la dent, et lorsque aux approches du fort, on rencontra des compatriotes, ce fut pour se voir traité par eux d'une manière indigne. Un nommé Landry et un certain Lagarde rejoignirent nos affamés; leurs traînes étaient chargées de viande et ils ne voulurent donner à leurs pauvres compatriotes en détresse, que la nourriture de leurs chiens, et le lendemain matin, comme il était tombé sept ou huit pouces de neige dans la nuit, ces misérables voulurent contraindre Landry et ses compagnons à battre la neige devant leurs chiens.

*Cinq jours après leur arrivée à ce nouveau poste, Landry et Lapointe reçurent l'ordre de partir pour le fort d'Épinettes dans les Montagnes Rocheuses. Deux canadiens, Cottenoir et Landroche les accompagnèrent. Ce fut cinq nouvelles journées de marche et le lendemain de leur arrivée on les envoyait dans la montagne à un gros camp [d'amérindiens] [de la tribu des C]astors, pour montrer à ces [amérindiens] les employés de la compagnie rivale devenus les esclaves [de la compagnie] du Nord-Ouest. Nos deux amis furent donc pendant toute une journée exposés comme des bêtes curieuses. *Voilà les gens de la petite potée+, c'est ainsi que la compagnie du Nord-Ouest appelait sa rivale.

*Aussitôt de retour au fort d'Epinettes, ils durent reprendre le chemin de la grande prairie où les attendaient leurs seize compagnons, puis tous ensemble allèrent au petit lac des [E]sclaves.

*Ils y trouvèrent M. Decoua[gne] qui y avait établi un fort pour la Baie d'Hudson. Mais les vivres manquant au petit lac des[E]sclaves,il fallut pousser jusqu'au fort Auguste, Edmonton aujourd'hui; le chemin fut parcouru, la raquette aux pieds, en dix-sept jours.

*Les deux compagnies étaient établies à Edmonton, M. Hughes était en charge du fort du Nord-Ouest. Les compagnons de Landry allèrent se promener au fort de la compagnie de la Baie d'Hudson et finirent par y rester.

Landry et Lapointe ne voulurent pas suivre leurs compagnons, ils en avaient assez des aventures du Nord-Ouest et voulaient s'en retourner au Canada. M. Hughes, craignant que les officiers de la Cie de la Baie d'Hudson ne les enlevassent de force, les fit partir pour le fort Vermillon sur la Saskatchewan; ils y arrivèrent après une promenade à la raquette de dix jours. Ils furent très bien reçus par M. Aleck [Hallett], le père de William Aleck [Hallett] bien connu à Saint-Boniface. Dans le courant du printemps, M. Logan, qui avait appris leur arrivée au Vermillon, fit partir de son fort McVicar et Ducharme avec ordre de les amener de gré ou de force. Ces deux hommes firent ce qu'ils purent pour leur persuader de les suivre et sur leur refus obstiné, résolurent de les enlever. Un matin comme Landry chargeait de l'eau à la rivière, ils se saisirent de lui et malgré sa résistance le traînaient sur la glace, lorsque [Hallett] averti par ses cris arriva et les obligea à lâcher prise. Les deux forts étaient déjà en émoi grâce aux cris de Landry et à la querelle qui suivit entre Aleck [Hallett] et les deux ravisseurs, du fort de la Baie d'Hudson sortaient déjà une vingtaine d'hommes armés de fusils pour aller prêter main forte à Ducharme et McVicar, lorsque du fort du Nord-Ouest une troupe à peu près égale et pareillement armée courait au secours de Logan et de Landry. La bataille allait s'engager lorsque heureusement Aleck [Hallett] se jeta en avant de ses gens et parvint à les apaiser.

*La glace partit et aussitôt Joseph Landry et son compagnon Lapointe firent leur première étape vers le Canada. Le voyage se faisait en canot. Landry, obligé de se cacher aux recherches des employés de la cie de la Baie d'Hudson, sauta le grand rapide, couché au fond de son canot, de crainte de rencontrer quelques-uns de ses anciens amis, et après mille difficultés, arriva au fort William. Pendant qu'il attendait là une occasion de continuer son voyage vers Montréal, Lord Selkirk arrivait avec la compagnie des Meurons, prenait14 le fort William, faisant prisonniers les officiers de la compagnie du Nord-Ouest qui s'y trouvaient et Joseph Landry et Lapointe, reconnus par deux de leurs anciens associés Pambrun et Paquin sont pris comme déserteurs et enfermés dans un des bastions du fort, où ils passent vingt-quatre jours, ignorant ce qu'on leur réservait,ne soupçonnant même pas ce qui leur valait cette attention de Lord Selkirk. Le vingt-quatrième jour, ils sont traduits devant le noble Lord et les officiers pour répondre à l'accusation d'avoir brisé leur engagement avec la compagnie de la Baie d'Hudson et d'avoir tenté de se sauver en déserteurs. Landry crut que la meilleure défense qu'il pouvait exposer était de raconter l'histoire du terrible voyage de la Rivière la Paix. Lord Selkirk fut persuadé par l'accent de vérité qui vibrait dans son récit; ils il l'engagea à retourner à la Rivière Rouge. *Vous êtes jeune, lui dit-il, allez à la Rivière Rouge; vous ne pouvez manquer d'y réussir.+ [....] Bien que la fortune ne l'attendit pas, Joseph Landry se décida à suivre le conseil de Lord Selkirk. Il partit quelques jours après pour le Lac-la-Pluie avec une partie des Meurons. [........]

*Arrivé au Lac-la-Pluie, tout le monde fut employé à fabriquer des traînes, et, un bon matin, on attela les chevaux, les boeufs, les chiens et jusqu'aux vaches, et l'on partit pour aller attaquer le fort Douglas. Les capitaines D'Orsonnens et McDalen15 commandaient l'expédition. On passa par le lac des Roseaux et l'on arriva à Pembina le 31 décembre 1816.

*Le 2 janvier 1817, après s'être approvisionné de vivres, on partit pour le fort Douglas16. Comme les animaux ne suffisaient pas pour traîner le bagage, les hommes s'atelèrent deux par traîne.

*Un accident survenu en route empêcha Joseph Landry de continuer son chemin avec la troupe. Il quitta ses compagnons aux deux petites pointes et retourna à Pembina. Ce ne fut que quelques jours après qu'il arriva à la fourche, le fort Douglas étant au pouvoir des Meurons.

*Joseph Landry passa deux ans au service de la compagnie, puis il s'engagea à Mgr Provencher qui venait d'arriver17 à la Rivière Rouge. Ce fut lui qui équarrit la plus grande partie du bois de la première église de Saint-Boniface, et enfin dans l'automne de 18191 8, il alla à Pembina épouser Demoiselle Lalonde19 qui venait d'arriver du Canada avec sa famille. Geneviève Lalonde avait 19 ans; elle fut la compagne dévouée de Joseph Landry pendant 64 ans. Elle est morte au milieu de nous, le 15 mars de l'an dernier [1883].

*Joseph Landry est citoyen de la paroisse Saint-Pierre et porte avec aisance le poids de ses 87 ans [sic].+

Notes

1 Ascendance de Joseph Landry :

          1 -Jean-Claude Landry épouse, vers 1625, Marie S alé

       2 -René Landry (le cadet) épouse, vers 1659, Marie Bernard

       3 -Antoine Landry épouse, en 1683 à Port-Royal, Marie Thibodeau

       4 -Jean Landry épouse, vers 1720 à Grand-Pré, Magdeleine Melanson

       5 -Antoine Landry épouse, le 14 novembre 1740 à Beaubassin, Marie-Anne Cormier

       6 -Nicolas Landry, veuf en premières noces de Louise Cartier, épouse le 23 avril 1792 à S t-Michel d'Yamaska (Québec), Marguerite Taurel dit Jolicoeur.

2 Registre de la paroisse de St-Michel-d'Yamaska.

3 Archives de la Société historique de Saint-Boniface.

4 Jean-Marie-Arthur Jolys naquit à Muzillac, Morbihan [Bretagne] (France) le 12 août 1854. À  l'âge de 19 ans il vint au Canada et il termina ses études théologiques au Séminaire de Québec. Il fut ordonné prêtre le 23 décembre 1877 au lac La Biche [Alberta]. En 1880, il fut nommé premier curé de Saint-Pierre-Jolys (Manitoba). Il est décédé le 14 juin 1926. (La Liberté, le 16 juin 1926) (Les Cloches de Saint-Boniface, 1926, volume XXV, page147ss)

5 Le Manitoba, numéros du 1er mai 1884, le 21 mai 1884 et le 29 mai 1884.

6 John Clarke naquit à Montréal en 1781. Il entra au service de la North West Co. (N.W.C.) comme commis en 1804. En 1810 il se joignit à la Pacific Fur Co. et, en 1814 à l'insistance de Colin Robertson, il joignit la Hudson's Bay Co (H.B.C.). Il dirigea l'expédition de la H.B.C. à l'Athabaska en 1815 et il établit le Fort Wedderburn cette même année. Les employés de la N.W.C. l'arrêtèrent le 7 octobre 1816. Il fut lâché peu de temps après mais le 15 avril 1817 il fut arrêté à nouveau et il fut libéré le 12 décembre 1817. Dans les années suivantes, il travailla dans divers établissements de la H.B.C. dans l'Ouest canadien et dans le Bas-Canada. Il prit sa retraite en 1835 et il mourut à Montréal en 1852. (Dictionnaire biographique du Canada, volume VIII, pp. 175-177)

7 Robert Logan naquit en 1773 en Écosse ou dans les Antilles. Il fut au service de la North West Company de 1806 à 1814. Il fut encouragé par Colin Robertson de se joindre à la Hudson's BayCompanyen1814etilmontaavecleconvoiallantdanslarégiondel'Athabaska. Il s'établit en permanence à la Rivière-Rouge (Manitoba) en 1819 où il est décédé le 26 mai 1866. (Dictionnaire biographique du Canada, volume IX, pp. 519-520)
 
8 Sans doute COLIN ROBERTSON. Né en 1783 en Écosse, Colin Robertson entra au service de la North West Company à titre de commis débutant en 1803. Il quitta son emploi en 1809 et il s'embarqua pour l'Angleterre et il y demeura jusqu'en 1814. Il arriva à Montréal à l'automne de 1814 et commença à organiser la première expédition de la Hudson's Bay Company à être équipée à Montréal. Arrivé à la Rivière-Rouge, il fut impliqué dans les actes d'hostilité entre la orth West Company et la Hudson's Bay Company. Ce fut surtout grâce à ses efforts que la North West Company fut brisée. Après 1821, il fut à l'emploi de la Hudson's Bay Company dans divers postes de l'Ouest canadien et il prit sa retraite en 1840. En 1841, il fut élu député pour la circonscription de Deux-Montagnes(Québec). Il mourut le 3 février 1842 des suites d'une chute à bas
de son traineau. Il avait épousé une Métisse, Theresa Chalifoux, et ils eurent sept enfants. (Dictionnaire biographique du Canada, volume VII, pp. 809-812)

9 François Decoigne. Après plusieurs années passées au service de la North West Compangy, il s'engagea à la Hudson's Bay Company pour aller au pays de l'Athabaska. Au printemps de 1818, il quitta l'Ouest pour s'établir à Montréal.

10 La flotille, composée de 16 canots et de 160 voyageurs, quitta Montréal le 17 mai 1815. (Dictionnaire biographique du Canada, volume VII, p. 810).

11 Archibald McLennan.

12 George McDougald. En 1815 il était commis au service de la Hudson's Bay Company à la Rivière-la-Paix. Il se joignit à la North West Company en 1816 mais il retourna à la H.B.C. à la fusion des deux Sociétés en 1821. (Journal of occurrences in the Athabaska Department by George Simpson 1820 and 1821, and Report. The Hudson's Bay Record Society, 1938)

13 Vraisemblablement Louis Delaronde (v1788-1868) qui épousa Madeleine Boucher. Cette famille demeura à Saint-Boniface-Ouest avant de déménager à Saint-Laurent (Manitoba).

14 Août 1816.15 Miles Macdonell.

16 Ils y arrivèrent le 10 janvier 1817.

17 le 16 juillet 1818.

18 Un article dans le journal Le Métis en date du jeudi 22 février 1877, dit que Joseph Landry et Geneviève Lalonde furent mariés à Pembina (North Dakota) en novembre 1820 par l'abbé Dumoulin.

19 Geneviève Lalonde, fille de François Lalonde et de Josephte Marlot, naquit le 29 mai 1800 et fut baptisée le 2 juin de la même année à Saint-Benoît (Québec). Décédée le 15 mars 1883, elle fut inhumée dans le cimetière de Saint-Pierre-Jolys le 17 .



Source: Article publié dans le Bulletin de la Société historique de Saint-Boniface, printemps 1993, 3-14.

 

 

 

 

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Dernière modification : samedi 05 avril 2014